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Volker Amrhein du Projektebüro Dialog der Generationen, Berlin (Mai 2011)
Depuis plus de 10 ans, au nom du gouvernement fédéral allemand, vous faites la promotion du dialogue entre les générations au sein du «Netzwerk der Generationen ». Comment cette mission a-t-elle évolué au fil des années?  Quelles priorités définissez-vous actuellement pour la promotion de l’intergénérationnel?

Volker Amrhein : « Per aspera ad astra » . A la fin des années 1990, le Ministère1 m’avait remis des copies de brefs résumés relatifs à une poignée de projets – pour être plus précis, il y avait 30 fois 5 poignées, soit 150 projets en tout – accompagnés des coordonnées des personnes à contacter. J’ai commencé à téléphoner… Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? Quels sont vos besoins ? Etes-vous intéressés par un échange avec d’autres acteurs du domaine, par des informations ou par la conception de manifestations communes ? L’écho a été positif. Des journées thématiques ont été organisées, principalement sur des questions prioritaires pour les premiers projets : écologie, activités d’utilité publique, gestion des conflits, participation des jeunes à la vie communale, théâtre plurigénérationnel, cirque, etc.

Dans un second temps, nous avons mis sur pied des équipes mobiles chargées de diffuser, à l’échelle nationale, des informations et conseils sur la levée de fonds, le travail en réseau et le développement organisationnel. S’en sont suivies des rencontres de groupes régionaux dans les Länder, lesquelles se sont développées rapidement pour devenir de véritables forums au niveau de ces Länder. C’est ce qui nous a permis de nouer de nombreux contacts avec des associations nationales, des acteurs du réseau fédéral « Bürgerschaftliches Engagement » et les ministères présentant un lien avec les problèmes sociaux. Ainsi, la coopération sur le plan national s’est engagée.

Il a été important pour nous de participer à des concours. Aussi avons-nous œuvré au sein du jury pour le prix « Generationengerechtigkeit » de la « Stiftung für die Rechte zukünftiger Generationen2 » . Nous nous sommes également engagés pour le concours « Video der Generationen » du « Kinder- und Jugendfilmzentrum in Deutschland3 » et avons ainsi créé les bases pour le développement de notre propre prix, le « GenerationendialogPreis ».4

N’oublions pas non plus les programmes auxquels nous avons eu l’occasion de participer « Biffy – Große Freunde für kleine Leute5 » , un programme de partenariat suivant l’approche « befriending » et qui, entre temps, a 10 ans d’ancienneté. Le « Generationennetzwerk Umwelt6 » de l’université de Hanovre et « Neues Altern in der Stadt7 » de la fondation Bertelsmann , ainsi que de nombreux partenariats européens dans le domaine pédagogique (promotion de la paix, projets scolaires, activités « témoins de leur temps », principes du dialogue). Ainsi, sans être directement impliquée dans des projets sur le terrain, notre institution a bénéficié d’un accès simplifié à de nombreuses thématiques significatives pour la pratique. C’est essentiel si l’on veut se tenir au courant. Cette évolution a débouché sur l’organisation de manifestations sous forme de forums, les « Sommer-Foren » , et sur l’intensification de nos efforts pour des « Generationengerechte Gemeinden », des communes dans lesquelles il fait bon vivre pour toutes les générations. C’est dans les municipalités que se réalise l’âme communautaire !

Pourquoi le dialogue entre générations est-il important ? Que diriez-vous à un enfant de 10 ans ? A une personne âgée de 65 ans ?

Amrhein : A l’enfant de 10 ans : Les anciens ont beaucoup à raconter. C’est cool. Ils sont là depuis beaucoup plus longtemps que toi. Ils ont vu davantage que toi, connaissent le monde mieux que toi, ont fait davantage d’expériences que toi – bonnes mais aussi mauvaises. Ils peuvent donc te conseiller. Bien sûr, tu feras tes propres expériences, toi aussi. Mais parfois c’est utile de savoir que pour les aînés aussi, la vie a commencé par des pages blanches, alors que maintenant, leur histoire est écrite. Tu aimes les histoires, n’est-ce pas?

A la personne âgée de65ans: Les enfants ont beaucoup à raconter. C’est gratifiant. Si vous avez des enfants, vous le savez par vous-même. Sinon, vous devriez rattraper cela et faire connaissance avec eux. Ils vous rappelleront des choses que vous aviez oubliées au fil du temps – et ils vous en apprendront d’autres que vous ne connaissiez pas encore. Leur manière directe vous lancera des défis. N’est-ce pas formidable de prendre conscience qu’avec chaque enfant, la vie débute de nouveau ? Que cet enfant représente un potentiel de découvertes nouvelles, imprévisibles, insolites, propres à ouvrir de nouvelles perspectives à l’humanité et à lui donner de nouveaux espoirs ? Toutefois, cet enfant a besoin d’être épaulé. Par vous.

La promotion du dialogue entre les générations en Suisse : quelles sont les principales différences, quels sont les points communs si vous comparez la situation avec l’Allemagne ?
Amrhein : En ce qui concerne les activités intergénérationnelles, la Suisse a toujours été pionnière.
  • En 1999, les fondations Pro Juventute et Pro Senectute ont édité un manuel intitulé « GénérAktion». Celui-ci a constitué le premier ouvrage de référence pour la dimension européenne du dialogue entre les générations, soulevant l’idée d’un travail en réseau au-delà des frontières nationales et ouvrant la voie à une coopération internationale dans le domaine.
  • Les collègues de l’église protestante « Eglises réformées Berne-Jura-Soleure» ont compris très tôt l’importance des mesures intergénérationnelles pour le développement de leurs communautés et des villages. Nous devons beaucoup à une visite commune auprès des villages « Generationendörfer » dans la région de Salzburg, à laquelle ils nous ont conviés.
  • A Lausanne, l’Institut Universitaire Âges et Générations a été pionnière dans la formation continue, mettant au point un cursus en emploi, qui en 3 modules aborde 10 sujets en rapport avec l’intergénérationnel et pour lequel elle délivre un certificat.8
  • Actuellement, c’est la « Académie des générations » de la Fédération des coopératives MIGROS qui fournit de nouvelles impulsions au développement de projets intergénérationnels dans le contexte communal. 9

L’esprit fondateur des Suisses est donc toujours actif.

C’est important puisque face au changement démographique, les communes se centrent souvent sur les possibles économies. Les municipalités ferment les yeux sur les facteurs « doux », notamment l’identification et l’ambiance, pourtant essentiels, pour les liens que les personnes tissent avec leur village, leur commune, leur quartier et leurs voisins. L’engagement bénévole est autre chose qu’une échappatoire dans l’hypothèse où la planification municipale tournerait court. Au contraire : lorsque de nouvelles formes de participation sont tentées (parfois très à contrecœur par des personnes concernées qui sont obligées de renoncer à des comportements conventionnels) et que des expériences nouvelles ont la chance d’être vécues, les problèmes apparaissent sous un autre jour. En d’autres termes : les processus destinés à réduire les effectifs ou les coûts peuvent se révéler des accélérateurs de modernisation.

En Allemagne, les programmes fédéraux ont toujours occupé une place importante. Vu le coût de tels programmes, pour un petit pays, c’est plus difficile. Le problème de ce type de programmes, c’est la continuité, souvent mise en question lorsque les sources tarissent après plusieurs années d’efforts financiers pour lancer les projets. Ainsi, une nouvelle approche déterminera sans doute la politique de promotion de l’avenir : il s’agira de renforcer l’auto-organisation.

Alors que l’accompagnement scientifique des programmes fédéraux allemands se préoccupe principalement des effets intéressants pour le promoteur (et légitimant les moyens que celui-ci a mis en œuvre), en Suisse, cet accompagnement me semble – pour autant que je puisse en juger – davantage orienté aux fondements conceptuels et soulever notamment des questions stratégiques. Il s’intéresse avant tout au terrain. Ainsi, le professeur Kurt Lüscher et sa « Académie suisse des sciences humaines et sociales ASSH» a initié des manifestations qui, sous cette même forme, sont encore rarissimes en Allemagne.10 Toutefois, la relève scientifique est là et j’espère qu’elle apportera le changement dans ce domaine aussi.

Fait surprenant: à l’époque du lancement de la campagne pour l’amélioration du dialogue entre les générations, une sorte de co-évolution a pu être constatée – le développement synchrone des offres fédérales et de très nombreuses initiatives écloses en parallèle. Celles-ci semblaient avoir dormi là, en attente de ce que quelqu’un vienne découvrir le potentiel de tels projets.

L’explosion sidérante des projets – ils sont passés en un rien de temps de 150 à 1000 – ne peut s’expliquer autrement. Le temps était venu pour le dialogue des générations.

D’ailleurs, il est peut-être plus facile d’en parler aujourd’hui parce que des événements sont intervenus qui démontrent clairement que l’action des générations actuelles peut avoir des conséquences dramatiques pour les générations futures. C’est là une prise de conscience phénoménale lorsque l’on pense à l’héritage laissé par des époques et des cultures plus anciennes. En effet, l’abandon de la filière nucléaire pour la production d’électricité et la lutte contre le changement climatique sont des projets intergénérationnels pour la portée et la gestion desquels nous ne disposons toujours pas de cadre institutionnel.

Quelles sont les erreurs et les mauvaises pistes que les acteurs suisses devraient éviter ? Ceux-ci peuvent-ils tirer les enseignements des expériences faites ailleurs (par ex. en Allemagne, au Royaume-Uni, etc.) ?

Amrhein : Je déconseillerais les programmes d’encouragement prônant des modèles prometteurs (par ex. « Nouvelles fonctions responsables ») et qui souvent échouent en situation concrète. Il faut des possibilités d’évolution et de développement, et les projets doivent présenter un lien avec des situations professionnelles pratiques.11 Je plaide donc pour une meilleure mise en réseau dès les débuts, les bénévoles étant considérés comme des partenaires égaux, s’occupant du terrain et facilitant le tout. Il devrait en être ainsi à tous les niveaux, et cette information devrait passer partout, dans les associations, entreprises, communes et ministères.

Cela ne signifie pas que des idées simples, voire rudimentaires, ne puissent pas également porter leurs fruits. La manière de parler aux acteurs est primordiale. Il convient de les considérer (et il devrait se considérer eux-mêmes) comme des explorateurs et exploratrices d’une terre nouvelle. Découvrir cette terra incognita requiert une grande sensibilité et une extrême attention. Il faut s’attendre à des surprises, et les pièges y sont nombreux.

Quelle importance les projets intergénérationnels ont-ils pour vous ? Quelles sont pour vous les mesures les plus efficaces pour promouvoir le dialogue entre les générations ?
Amrhein : C’est simple : ces projets ont une influence sur les manières de percevoir les choses et ils nous préparent au changement.
  • Le fait d’entretenir des relations intergénérationnelles autres que familiales ouvre des options et permet d’élargir le projet de vie individuel et communautaire.
  • Ces relations lancent des défis aux personnes impliquées.
  • Elles exigent un accompagnement, et des conseils sont requis.
  • Elles enrichissent les structures communales et animent les échanges.
  • Les personnes s’identifient et développent leur esprit communautaire.
Les moyens mis en œuvre pour renforcer les réseaux communaux sont donc un investissement utile, tout comme les ateliers de discussion, l’organisation au niveau communal d’un soutien délivré par des coachs citoyens et de services favorisant l’engagement civique. L’éclosion de projets individuels (parrainage, démence, mentoring, cohabitation accompagnée) est facilitée et augmente les chances d’aboutir à la réalisation et au plein essor, lorsqu’une structure existe sur le plan communal.
Quelles sont les raisons du succès de certains projets intergénérationnels et de l’échec de certains autres ?
Amrhein : L’engagement personnel leur permet de réussir. La distance les mène à l’échec. En somme, faire face à des conflits et à une multitude de perspectives, y travailler et, ce faisant, progresser – voilà qui les fortifie.
Dans quels domaines voyez-vous des possibilités de coopération intéressantes avec des acteurs suisses ?

Amrhein : Dans le domaine de l’implantation communale des projets et au niveau de la qualification des acteurs. Cela concerne notamment la « sensibilité » des projets suisses, leur approche sensible aux civilisations. En Allemagne, l’intégration colporte trop souvent une image négative. Ce n’est pas que les bonnes idées y manqueraient, mais la volonté politique ne s’est pas vraiment manifestée jusqu’alors. Nous sommes trop centrés sur nous-mêmes (prenez le terme de « deutsche Leitkultur » (culture de référence allemande). Nous luttons contre des peurs, attisées par les populistes (pensez à la phrase « Deutschland schafft sich ab » (L’Allemagne s’abolit.). Il me semble que la Suisse a une longueur d’avance sur nous, du fait de ses traditions liées à sa géographie et à sa pluriculturalité.

Les formes de participation de la jeunesse, nées des programmes d’encouragement destinés aux enfants et aux adolescents12, offriraient également une bonne base pour une coopération fructueuse entre les deux pays.

Dans le contexte intergénérationnel, quel est le mythe que vous souhaiteriez voir éradiquer rapidement?

Amrhein : Sans hésiter: le mythe de la guerre entre les générations. A ce sujet, j’aimerais rappeler un proverbe tibétain que j’ai lu chez Hans Peter Dürr : « L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». En dépit des tentatives de revitalisation de la presse et des autres médias, le grand titre d’une telle guerre est désormais désuet, dépassé par une tendance nette aux projets et initiatives à l’avenir prometteur. Avant de conclure, j’aimerais citer Günther Anders « Wir können uns nicht mehr vorstellen, was wir herstellen. » (Nous ne sommes plus capables d’imaginer ce que nous produisons).

En effet, nous perdons de vue les conséquences qu’auront nos actes pour les générations futures. Alors que nous disposons de moyens techniques considérables pour influencer notre monde, nos yeux sont rivés sur les « goulets d’étranglement » et les « contraintes insurmontables », tels les yeux du lapin sur le serpent. Au lieu de nous orienter vers une adaptation de nos comportements et un changement de nos modes de vie, nous prenons plaisir à célébrer la disparition et l’extinction. Fukushima a fait bouger les choses. A croire que l’humanité a besoin de catastrophes avant de réagir au fond. Les enfants, eux, le savent: il est possible de faire mieux de suite. On n’est pas obligé d’attendre le lendemain – autrement dit d’attendre que le changement climatique ait détruit nos maisons et notre espace de vie. Je me souviens ici du slogan d’une élève ayant participé à une action au lac de Starnberg: « Stop talking, start planting. »

Questions: Monika Blau et Natascha Wey

1   Das Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend schuf 1993/94 die Initiative zur Verbesserung des Dialogs der Generationen, in deren Zuge 1997 das     Projektebüro entstand.
2    http://www.generationengerechtigkeit.de/
3    http://www.video-der-generationen.de/
4    http://www.generationendialog.de/
5    http://www.biffy-berlin.de/
6    –
7    http://www.bertelsmann-stiftung.de/
8    http://www.jpfragniere.ch/
9    http://www.generationenakademie.ch/
10 http://www.sagw.ch/
11 vgl. hierzu die Idee des Bürgercoachs
12 http://www.infoklick.ch/jugendmitwirkung/

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